II
Seth cessa de créer et devint un sale critique médisant parce que les gens ne voulaient plus croire en lui. Les dieux ont de vastes pouvoirs, qu’ils utilisent souvent sans se préoccuper des sentiments ou des souhaits des humains. Mais chaque dieu a également son point faible, contre lequel il ne peut rien. Si les humains décident qu’il est un dieu mauvais, un dieu faible ou encore un dieu mourant, il deviendra mauvais, faible ou mourant. Adieu, Odin ! Dans l’os, Zeus ! C’est la débâcle, Quetzalcoatl ! T’es à bout, Grand Manitou !
Mais Seth était un battant. Il était également assez fourbe, mais on ne peut pas vraiment lui en vouloir puisque les humains avaient décidé qu’il était mauvais. Il envisagea de jouer un tour pendable à Osiris au cours de la grande fête donnée en son honneur à Memphis, à l’occasion de la fin de son tour du monde express. Ce qu’il voulait, c’était raccourcir son frère aîné, Osiris, et y mettre le paquet. Vu de notre époque, à plus de six mille années de distance, on peut se dire que Seth avait de bonnes raisons pour cela. Néphtys, sa sœur et épouse, était incapable d’avoir un enfant de lui et, de plus, elle reluquait Osiris. Osiris lui résistait, mais le sang lui montait au visage. Autre part aussi, d’ailleurs.
Ce n’était pas une chose facile, parce qu’Osiris avait la peau verte. Ce qui a poussé certains modernes à imaginer qu’il serait venu en soucoupe volante depuis la planète Mars. Sa chair était verte, tout simplement parce que c’est la couleur des plantes vivantes et qu’il était le dieu de l’agriculture. Entre autres choses.
Néphtys vint à bout de ses scrupules en l’enivrant. Quelques milliers d’années plus tard, les filles de Loth devaient utiliser le même procédé. Le résultat de cette copulation illicite dans les roseaux fut Anubis. Tout le monde lui trouvait une drôle de dégaine. Il avait une tête de chacal, parce que les chacals mangent les morts et qu’Anubis poinçonnait les tickets des morts en partance pour l’au-delà.
Isis-au-grand-cœur trouva le petit Anubis dans les marais et l’éleva comme son propre enfant, bien qu’elle sût pertinemment qui étaient les parents.
Osiris faisait son entrée à Memphis. Il était heureux parce qu’il venait d’achever un tour du monde, où il avait appris aux non-Égyptiens les règles élémentaires de la paix et de la non-violence. Le monde ne s’était jamais aussi bien porté et, malheureusement, il ne retrouverait jamais plus cet état. Seth lui fit un grand sourire et ouvrit les bras pour enlacer Osiris. Il aurait dû se douter de quelque chose. Tout enfant, Seth l’avait arraché prématurément et violemment du ventre de sa mère. Il était grossier et sauvage, il avait la peau blanche et les cheveux rouges. Un vrai sagouin, quoi.
Isis était assise sur son trône. Elle irradiait de bonheur. Osiris était resté longtemps absent et elle s’ennuyait de lui. Pendant son absence, Seth s’était approché d’elle et lui avait demandé si elle voulait se venger de son mari après la petite relation qu’il avait eue avec Néphtys. Elle lui avait répondu de laisser tomber. A dire vrai, elle se demandait combien de temps elle aurait pu tenir dans la même situation. Les dieux sont encore plus travaillés que les humains, et ce n’est pas peu dire.
Seth donna un grand banquet qui aurait rendu vert de rage Cecil B. De Mille en personne. Quand tout le monde fut malade de s’être empiffré et que les rots commencèrent à fuser comme des pétards au 14 juillet, Seth frappa dans ses mains. Quatre dieux de seconde catégorie s’avancèrent, qui portaient un coffre merveilleusement ouvragé. Ils le posèrent à terre, et Osiris dit :
— Dis-moi, mon frère, qu’est-ce donc que cet exquis objet d’art ?
— Il appartiendra à celui qui tiendra exactement dedans, lui répondit Seth.
Pour donner l’exemple, Seth entra le premier dans le coffre. Mais il était trop grand – ce qu’il savait déjà. Les soixante-douze complices de la conspiration – Seth était peut-être mauvais, mais il faisait fort bien les choses –, les complices, disais-je, étaient tous trop petits. Isis ne tenta pas sa chance.
C’est alors qu’Osiris, qui titubait un peu à cause des litres de vin qu’il avait engloutis, dit :
— Si le coffre est de ma taille, vous me soulèverez avec lui !
Tout le monde se mit à rire et il entra dans le coffre. Son crâne et la pointe de ses pieds touchaient aux extrémités du coffre.
Osiris sourit, mais cela ne dura pas longtemps. Les conspirateurs rabattirent le couvercle et le clouèrent à coups de marteau. Seth éclata de rire, Isis poussa des hurlements. Tout le monde s’enfuit, épouvanté. Sans prêter la moindre attention aux coups redoublés frappés par Osiris, les complices emportèrent le coffre vers le Nil. Puis ils le jetèrent dans le fleuve, et les eaux l’entraînèrent jusqu’à la mer.